Etam : "On peut faire de la fast fashion en épargnant la planète"

  Cet article est issu du magazine Management

  Entré chez Etam en 1998 après des études de commerce à Londres, Laurent Milchior dirige depuis 2008 le groupe 100% familial au côté de son père. Fort de son milliard d’euros de chiffre d'affaires, le leader français de la lingerie et septième acteur mondial du secteur avec ses marques Undiz, Maison 123 et Livy, mise sur l’innovation soutenue et un style affirmé, mais aussi des prix accessibles et des engagements forts sur l’écologie et la place de la femme dans la société. Non sans quelques compromissions, assumées, en prônant par exemple la responsabilité environnementale sans renoncer à une course à la «fast fashion» ou en faisant le chantre du «body positive» dans un univers lingerie féminine rime immanquablement avec séduction et sensualité.

  Capital : Etam, aujourd'hui, cela évoque d’abord de la lingerie. Que représente encore le prêt-à-porter dans le groupe?

  Laurent Milchior : Le prêt-à-porter est très bousculé en France depuis l’arrivée des groupes étrangers comme Inditex (Zara, Bershka…), H&M ou encore Uniqlo. Tous les acteurs français souffrent, et nous ne faisons pas exception. La lingerie, nous en faisons depuis plus de cent ans et c’est notre vrai point fort, alors nous en profitons. Il faut savoir qu’un soutien-gorge est un produit extrêmement technique, constitué de pas moins de 40 pièces de tissus à assembler!

  Nous allons donc arrêter progressivement de vendre des jeans ou des manteaux, sur lesquels nous avons peu de légitimité, et repositionner notre prêt-à-porter sur les extensions de lingerie (etam pyjama, déshabillés) et le «lounge wear», ces vêtements amples et confortables pensés initialement pour la maison et qui ont le vent en poupe: pantalons souples, gilets, etc. Mais aussi le sport, avec notamment des gammes de brassières et de leggings. Cette transition est déjà engagée: en 2005, la marque Etam réalisait 50% de son chiffre d’affaires dans la lingerie et 50% dans le prêt-à-porter. Aujourd’hui, on en est à 85/15. Dans le groupe, seule la marque Maison 123 va continuer à faire du vêtement au sens traditionnel du terme, mais elle se verra adjoindre toute une gamme de lingerie.

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  Etam compte 1.420 points de vente dans le monde… Ils étaient plus de 4.000 il y a encore quelques années. Que s’est-il passé?

  Nous avons décidé de cesser notre activité en Chine. La branche chinoise avait été lancée il y a près de trente ans par mon père, qui adorait ce pays. Plus de 3000 points de vente, essentiellement des corners dune cinquantaine de mètres carrés dans des grands magasins, proposaient une offre 100% spécifique, ajustée au marché chinois. Mais en 2014, l’activité a commencé à perdre de l’argent. Les grands magasins ont été ringardisés par l’émergence des centres commerciaux.

  La culture chinoise de la promotion permanente, à laquelle nous ne sommes pas habitués en France, nous a également fait du tort car nos prix affichés paraissaient plus chers. Nous avons tenté de nous relancer avec une nouvelle marque, Enjoy, et 70 magasins de 600 mètres carrés, mais l’expérience ne s’est pas révélée concluante. Nous avons donc cédé le réseau à un acteur local. Aujourd’hui, nous nous relançons doucement sur le créneau de la lingerie, sous marque Etam, mais nous le faisons en pure player de l’Internet. La Chine représentait 20% du chiffre d’affaires du groupe… Par chance, nous ne sortons pas trop endettés de cette opération et nous avons pu continuer à investir dans la rénovation de nos magasins et le digital, notamment.

  48 : c’est le nombre de pays dans lesquels le groupe est implanté sur les cinq continents.

  Le digital, précisément, est devenu le nerf de la guerre en pleine crise du Covid. Représente-t-il l’avenir d’un groupe comme le vôtre?

  Il devient évidemment incontournable quand les boutiques sont fermées pour cause de confinement. En 2020, les ventes digitales ont progressé de 80% et leur part du chiffre d’affaires a atteint 16%. Pour autant, je ne crois pas au tout digital dans une industrie comme la nôtre. Je crois davantage à la complémentarité entre magasins et Web. L’omnicanal, c’est d’ailleurs le modèle que nous développons depuis plusieurs années, avec des services comme Try at home, lancé un an avant le Covid, qui permet d’essayer les produits chez soi et d’être débité seulement onze jours plus tard si ceux-ci conviennent, ou encore Pay by SMS, déployé en trois jours en mai 2020 pour éviter à nos clientes d’avoir à toucher le terminal de paiement. On leur propose également, s’il manque leur taille sur un produit en magasin, de le commander directement sur place, de le payer en caisse avec les autres achats et de le recevoir à domicile quelques jours plus tard.

  Vous avez lancé en 2018 un programme ambitieux de responsabilité sociale et environnementale. Pouvez-vous nous en dire plus?

  L’industrie de la mode est reconnue comme assez polluante et peu diligente sur les sujets environnementaux. On ne voulait pas juste lancer une gamme de coton bio… Avec le programme WeCare for the Planet, nous nous engageons à ce que 80% de notre offre soit écoresponsable d’ici à 2025. Aujourd’hui, avec déjà 40% de produits écoconçus, nous sommes parmi les enseignes les plus engagées. Mais c’est très contraignant. Il y a une pénurie de coton bio sur la planète; de plus, un tiers de ce coton est produit par les Ouïghours, la minorité opprimée par le pouvoir chinois.

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  Chez Etam, nous avons fait le choix de ne pas nous approvisionner -bas. Il nous faut donc trouver d’autres matières naturelles et des alternatives comme le polyester recyclé, par exemple. Nous supprimons également le plastique utilisé pour les sachets logistiques, les cintres et les accroches des soutiens-gorge… Tous les produits étiquetés WeCare ! respectent les labels reconnus internationalement, comme le label Oeko-Tex. Sur le plan social, avec le volet Transparency, nous nous engageons également à ce que toutes nos usines, en Asie et ailleurs, soient auditées et répondent à des cahiers des charges précis.

  N'y a-t-il pas un paradoxe à promouvoir l’écologie tout en étant une enseigne de fast fashion, donc en renouvelant les gammes à un rythme effréné?

  Il va y avoir un milliard de Chinois, un milliard d’Indiens et un milliard d’Africains avides de consommer, et de consommer de la fast fashion. La réalité, c’est qu’aujourd’hui, la RSE, c’est ultra-bourgeois. Si elle ne concerne que des collections hors de prix vendues à une petite minorité de gens aisés, à quoi peut-elle servir?

  Les consommateurs veulent de la fast fashion, et nous n’avons pas honte d’en faire : chez Undiz, par exemple, il y a tous les mardis une arrivée de nouveaux produits en magasin. Mais je pense qu’on peut faire de la mode plaisir pour tous, tout en respectant la planète. Ce n’est pas incompatible. Il existe aujourd’hui plein de matières premières alternatives, moins consommatrices en énergies fossiles et en eau.

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  Le programme WeCare ! comporte également un volet WeCare for Women, qui prône le respect des femmes dans leur diversité, d’âge, d’origine, de morphologie… Comment vend-on de la lingerie, un produit qui peut incarner une certaine domination masculine, à l’heure du mouvement #metoo?

  Chez Etam, nous proposons une lingerie assez fraîche, nos défilés sont très souriants et jouent beaucoup moins la carte de la sensualité que pouvaient le faire, par exemple, ceux d’une enseigne comme Victoria’s Secret (dont le dernier défilé, en 2018, s’est déroulé dans une atmosphère de scandale, NDLR). Nous faisons aussi défiler des mannequins avec des rondeurs. Mais ne nous limitons pas à communiquer sur le sujet du «body positive» le fait de saccepter tel que lon est. Nous jouons vraiment la carte des offres inclusives et nous avons développé des gammes de produits qui s’adressent à un large spectre de femmes.

  Dans le tech center de Marcq-en-Barœul, près de Lille, nous réalisons tous nos prototypes, nous avons ainsi travaillé sur des formes de soutien-gorge spécifiques adaptées aux bonnets E, F et G, pour les femmes à la poitrine généreuse. Nous avons également lancé une gamme de soutien-gorge pour les femmes ayant subi une mastectomie suite à un cancer du sein. Depuis 2019, nous développons une collaboration avec le fabricant de culottes menstruelles Smoon, afin de proposer une lingerie absorbante adaptée à la période des règles. Sans oublier Sublimizer, notre gamme de dessous gainants pour sublimer les rondeurs. Pour autant, je pense qu’une marque comme la nôtre ne doit pas aller trop loin dans la communication sur le body positive. La lingerie n’est pas un simple vêtement utilitaire, elle est aussi destinée à faire rêver ; il y a un juste équilibre à trouver...

  Bio express de Laurent Milchior

  1988 : Diplômé de l'European Business School de Londres.

  1988 : Il entre dans le groupe Etam comme vendeur à Londres, puis responsable de magasin et chef de région.

  Années 1990 : Il dirige la filiale espagnole et s'investit directement dans la nouvelle branche e-commerce du groupe.

  2003 : Il prend la direction de la branche prêt-à porter.

  2008 : Il devient cogérant d'Etam.

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